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Et vous ? Auriez vous pris la place de l’otage ?




Publié par Landry RICHARD le 17 Septembre 2018

Dans combien de familles, en France et à l’international cette question a été posée depuis ce tragique vendredi 23 mars 2018 dans l’Aude, quand le Lieutenant-colonel de gendarmerie Arnaud BELTRAME a décidé de prendre la place d’une employée, prise en otage par un terroriste djihadiste de 25 ans qui venait déjà d’abattre trois personnes dans une course meurtrière qui l’a conduit jusqu’au SUPER U de Trèbes ? Elle sortira saine et sauve du supermarché ; l’officier sera abattu par le terroriste alors qu’il tentait de le désarmer. Il succombera à ses blessures le lendemain.



Cette question pleine d’inquiétude, posée par nos familles, nos amis, nos proches est venue chercher la rassurante certitude que dans l’exercice de nos métiers nous ne choisirions pas de sauver un inconnu. La réponse n’a pas toujours été claire et surtout pas faite de dualité. Pas de oui ou de non, seulement des « peut-être », des « je ne sais pas », des « ça dépend ». Chez d’autres la réponse était connue d’avance, avant même d’avoir posé la question, car elle n’est que le fruit d’un processus d’engagement de vie et finalement, jamais vraiment de certitudes.
 
Je suis officier de réserve de la Gendarmerie Nationale et sapeur-pompier professionnel. Avec ces deux cultures, je fais le constat de deux formes d’engagement chez les acteurs de la sécurité intérieure.
 
Dans leur excellent ouvrage « La densification de l’être », le Docteur CHAPUT, le Colonel VENARD et le Père aumônier VENARD (son frère) expliquent qu’il est de la responsabilité des « tuteurs » de ne pas laisser entrer quelqu’un dans le « temple de mars » sans l’y avoir préalablement préparé. Il faut voir ici le temple de mars à son niveau symbolique, terrain de guerre pour les militaires, zone de conflit pour les policiers et les gendarmes, le feu et le secours à victimes pour les pompiers. Les auteurs expliquent également que nous sommes à l’image du papier buvard. Que si nous ne sommes pas suffisamment denses, nous laisserons tout entrer (toute la souffrance) en nous, sans retenue alors qu’à l’inverse, plus de densité empêchera les facteurs perturbateurs extérieurs de nous atteindre. La notion de sens entre également en ligne de compte avec ce qu’ils nomment la philosophie du marteau inspirée de Nietzsche non pour détruire ou se détruire, mais pour vérifier « sa résonnance » en se demandant quelle est la résonnance, au sens de « force » = de notre être.
 
 

S’engager vers la transcendance ?

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Selon le Larousse, une des définitions de ce qu’est la transcendance serait : « Existence des fins du sujet en dehors du sujet lui-même ; caractère d’une cause qui agit sur quelque chose qui est différent d’elle, qui lui est supérieur. »[1]
Dans les professions au service du bien commun, pour les « sentinelles de la nation » comme les nomme le Docteur CHAPUT, l’action est collective et l’engagement se concilie rarement avec l’individualisme. En s’engageant au sein de structures organisées, l’individu va exclure la primauté individuelle pour « autre chose ». Car, on n’entre pas dans la police, chez les pompiers ou en gendarmerie parce qu’on a vu de la lumière. Et même s’il y a parfois des « erreurs de casting », l’épreuve du terrain fait généralement la sélection. Il faut une certaine motivation pour être en capacité de faire-face aux situations les plus effroyables, un cœur bien accroché et un sens du service public à toute épreuve.
 
Il est donc intéressant de regarder quel est le dénominateur commun des motivations individuelles à s’engager au service des autres, et c’est du côté des valeurs qu’une orientation se dessine pour tenter de comprendre comment un soldat peut aller jusqu’au sacrifice ultime. Tenter seulement, car cela appartient à chacun, individuellement, et dépend de l’instant.
 
On ne s’engage pas juste parce que papa était gendarme ou parce que les camions rouges nous faisaient rêver étant petits, ni même parce que nous rêvions être le policier héros de notre série télé préférée. Difficile finalement d’être généraliste quant à la question des raisons de l’engagement vers ces professions. Ces métiers de « protecteurs », ont cette particularité d’être des métiers de service, où l’on ne vend rien, on n’achète rien, on donne. Et plus particulièrement pour les pompiers, les gendarmes, les militaires et les policiers, on donne beaucoup de soi-même.
L’effacement personnel, le dépassement de son égoïsme, provoquent cette valeur retrouvée chez la majorité des personnes interrogées en 2017 : l’altruisme. Cela montre que l’on s’engage pour servir une cause supérieure à soi-même. C’est majoritairement pour aider « les autres » que l’on s’engage. La notion de transcendance, qui pourrait être définie comme l’idée de servir une cause supérieure à celle de ses intérêts individuels se confronte malgré tout à une idée sociétale actuelle : les plus jeunes générations seraient plus individualistes que leurs aînés[2] .
 
Le général FAVIER, ancien commandant du GIGN et Directeur de la Gendarmerie Nationale explique que dans le métier qui a été le sien, rien de fort n’aurait pu se faire sans prise de risque. Mais il convient de distinguer la prise de risque et le risque lui-même. « Le risque s’impose à vous et il faut donc prendre toutes les mesures de précaution pour en limiter les effets. La prise de risque, elle, est une démarche volontaire, délibérée, acceptée face à une décision à prendre. »
 
Pour tenter de comprendre l’engagement des opérateurs de la sécurité publique, policiers, pompiers, gendarmes, militaires, j’ai demandé à un panel d’officiers, sous-officiers, hommes, femmes de faire un choix parmi 211 valeurs en les hiérarchisant par ordre de priorité en classant les deux principales, puis les quatre majeures et enfin les six complémentaires définissants, par ordre de priorité les valeurs fondamentales qui portent leur engagement professionnel.
L’analyse des résultats de cette enquête montre que même si les raisons de l’engagement sont multiples, l’idée de venir y accomplir une tâche « bienveillante », altruiste, est largement majoritaire. En effet, 72 % des personnes interrogées (sur 43) répondent qu’au moins une de leurs deux valeurs principales ayant porté leur engagement dans une des professions de la sécurité publique est une valeur d’altruisme, d’empathie, de service ou de dévotion.
Enfin, partant du postulat qu’il peut exister deux catégories majeures de personnalités intervenantes (les « Sauver ou Périr » et les « Courage et Dévouement »), l’enquête a tenté de démontrer quels étaient les profils majoritaires en nombre dans ces professions.
 
J’ai demandé aux participants à l’enquête quel était leur état d’esprit dans la situation suivante : « Vous êtes appelés dans le cadre de votre profession sur un attentat à caractère NRBCe[3] dans un lieu de grand passage, avec notion de nombreuses victimes. Étant dans les premiers intervenants, vous savez qu’il y a un risque potentiel pour vous-même. Auriez-vous préféré être chez vous ce jour-là ou bien au contraire ? »
Ou alors :
« Il fait 10 degrés dehors, vous êtes en repos, une personne se noie devant vous dans une rivière agitée. Vous vous jetez à l’eau sans réfléchir ou vous allez d’abord prendre le temps de prévenir les secours, chercher un bâton ou autre pour n’avoir à vous mettre à l’eau que si vous n’avez pas d’autre choix. »
 
En me basant sur la devise des sapeurs-pompiers de Paris, je retiendrai un premier profil type appelé les « Sauver ou Périr ». Ce sont ces agents sur les lesquels il est possible de compter sans problème, des agents capables de sacrifier une partie d’eux-mêmes, voire de se sacrifier eux-mêmes (périr) dans le cadre de leur mission. Ceux-ci ont répondu que oui, ils auraient préféré faire partie de l’équipe intervenante même au risque de péril pour soi. Cette catégorie d’agents positionne dans leur mode de pensée le caractère sacrificiel de leur engagement comme un des fondements de leurs professions. La réponse est généralement ponctuée d’un « bien sûr ! » soulignant le caractère évident de ce positionnement. L’acte du Colonel BELTRAME en est l’illustration.
 
Pour la deuxième catégorie, en nous basant sur la devise des sapeurs-pompiers nous les appellerons les « Courage et Dévouement ». Les agents ayant répondu que non, ils auraient préféré être chez eux. Ce sont également des agents fiables, sur lesquels il est possible de compter sans problème, mais leur mode de fonctionnement mental est différent devant la notion de sacrifice. Ces agents ne sont pas prêts à se sacrifier eux-mêmes, dans le cadre de leurs missions professionnelles. Attention toutefois à ne pas voir les « Courage et Dévouement » comme manquant de courage, simplement leur mode de pensée positionne leur cheminement d’action plutôt dans la réflexion et la stratégie que dans le don de soi. Il est d’ailleurs courant de constater que les uns ont tendance à fustiger les autres, les « Sauver ou Périr » se moquant des « Courage et Dévouement » pour un côté « trouillard », pensant qu’ils sont faibles, voire même dans les situations les plus extrêmes, n’ayant rien à faire dans ce type de professions. De la même façon, les « Courage et Dévouement » voient parfois les « Sauver ou Périr » comme des inconscients, dangereux pour eux-mêmes et pour les autres.
 
« Il y a un équilibre à trouver entre une prudence extrême qui paralyse par la peur et une témérité excessive qui conduirait à faire n’importe quoi. J’insiste sur le côté rationnel dans la prise de décision. D’où l’importance de l’entraînement — le “drill” — et du collectif. Il n’y a pas d’opérations majeures sans un collectif fort. Au final, tout dépend des hommes, de comment ils sont formés et encadrés. »[4]
Général Denis FAVIER
 
 

[1] www.larousse.fr
[2] Cécile Dejoux, Heidi Wechtler « Diversité générationnelle : implications, principes et outils de management » Management & Avenir 2011/3 (n° 43), p. 227-238. DOI 10.3917/mav.043.0227
[3] Nucléaire Radiologique Bactériologique Chimique explosif
[4] L’Opinion, 17 mars 2017, Jean-Dominique MERCHET
 

Sur ce large panel de personnes interrogées, et sur ces seuls critères d’évaluation, nous pouvons définir 69 % de personnes à positionner dans la catégorie « Sauver ou Périr » et 31 % dans la catégorie « Courage et dévouement ». S’il fallait en conclure que les membres des forces de sécurité publique s’engagent tous pour la même raison est impossible. Cette étude montre seulement des grandes tendances. Il est possible d’affirmer qu’une majorité d’individus s’engagent dans les forces d’intervention principalement par choix altruiste de service, d’exercer une profession portée par la volonté de transcendance de soi. Les agents sont majoritairement prêts au sacrifice ultime, confirmant ce positionnement individuel au service des autres. Ainsi, si les raisons de s’engager sont aussi diverses qu’il y a d’engagements, il est possible de dire qu’un ensemble de valeurs communes réunissent les femmes et les hommes qui décident de mettre leurs vies au service de la protection des autres. C’est donc la majorité des pompiers, militaires, policiers et gendarmes interrogés qui positionnent leur engagement professionnel autour de valeurs altruistes. Malgré les raisons diverses des recrutements, c’est d’abord pour servir que l’on s’engage, par esprit de don de soi.
 
« Considérant que les densifications physique et psychologique permettent à l’individu “d’être” plutôt que “de paraître” en toutes circonstances, l’aridité et l’âpreté du chemin qu’elles exigent de suivre ne peuvent que répondre ou conduire à un questionnement métaphysique. Celui-ci concernera le sens de la vie (avec en creux celui de la mort), la notion de vérité et de mensonge, celle de la certitude et de l’incertitude, de la foi ou des croyances, de bien et de mal : ce qui vaut (ou non) la peine de vivre, de combattre, de protéger, de souffrir physiquement ou moralement et ce qui mérite (ou non) qu’on sacrifie sa vie. Ce cheminement débouche alors sur une hiérarchisation des valeurs qui permettront à chacun de constituer le socle éthique qui donne du sens à ses pensées et à ses actes. »
 « La densification de l’être[5]  »
 
 
« S’engager pour la vie » (Devise du GIGN)
Le Chef d’Escadron Antony COUZIAN-MARCHAND, ancien Commandant en second du GIGN aujourd’hui Directeur Général de la société Gallice explique :
 
 « Pour se préparer à faire face à la mort, dans des unités spécialisées d’intervention comme le GIGN, il faut respecter plusieurs étapes dans la formation (individuelle et collective) et plusieurs conditions dans le commandement. La première étape de la préparation consiste en l’acte volontaire d’engagement au GIGN, effectué par un gendarme déjà expérimenté. Ensuite, les étapes de sélection et de longue formation (physique, technique, psychologique et intellectuelle) renforcent les qualités professionnelles et personnelles, elles permettent de créer les conditions de la confiance en soi et en le groupe, et de solidifier la cohésion. Il faut aussi insister sur l’investissement total des opérateurs et des officiers, le courage intellectuel et physique élevé au niveau d’un challenge quotidien, qui se traduit par la remise en question permanente des savoir-faire, des techniques et des tactiques. 
Puis la préparation à la mort donnée ou subie repose sur l’assurance — quotidiennement réaffirmée par le soldat — d’agir pour un idéal, d’être prêt à tout donner pour de bonnes raisons et dans un cadre limpide. Ceci découle de l’analyse quotidienne, par chaque membre, des raisons de sa présence dans l’unité, mais aussi d’un commandement par l’exemple, exercé par des officiers qui sont au contact quotidien des opérateurs et gradés, et sont animés par des valeurs humaines profondément ancrées ».

A suivre le 18-09-2018.


[5] « Éditions PIPPA, 2018 »
 


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